Du codage linéaire du discours et de l’écriture …
L’écriture linéaire a été la grande invention des Babyloniens vers 3 600 avant JC (1) : on associe par convention une suite de symboles graphiques à une série de sons. L’écriture consiste à inscrire sur un substrat (tablette d’argile, papyrus, papier) ces symboles en une séquence ordonnée, ce qui permet de coder et reproduire des discours.
L’écriture a été un outil fondamental pour la transmission des connaissances et savoirs.
Contrairement à une vue parfois simpliste de l’écriture qui se limite à l’alphabet, les écritures, pour mieux coder le discours, utilisent aussi des séries de symboles pour coder les rythmes (les points, les virgules, …), les emphases (souligné, gras), les intonations (le ? et le !). Récemment, les émoticônes ont fait leur apparition pour mieux traduire les états d’âme du locuteur.
D’autres conventions d’écriture permettent aussi de faciliter la compréhension de discours complexes et longs : titres de taille variable, forme des lettres, indentations, paragraphes, etc. Nous appelons ici « notation secondaire » cet environnement complet de symboles non alphabétiques.
Ces autres symboles ne sont pas un simple complément, mais une part intégrale du discours et de sa qualité pour la transmission : il n’y a rien de pire qu’un discours sans intonation ni rythme !
La notation secondaire est un élément essentiel pour la transmission des connaissances et savoirs.
… vers le codage linéaire de la pensée
L’écriture code le discours, mais ne code pas bien la pensée ni la connaissance (cf article sur les notations).
Lorsque le discours présente un raisonnement, un exposé, une histoire, une série de concepts sont exposés et concaténés: le début du discours est au début de la séquence écrite, et la fin du discours, plus tardive, se situe à la fin de la séquence codée. On inscrit ainsi une bijection entre le temps du discours (linéaire) et l’espace du substrat (linéaire découpé en lignes et pages).
Alors que la pensée et les raisonnements sont hautement non linéaires, il n’y a qu’un seul ordre physique linéaire possible : l’écriture introduit des restrictions liées à l’expression.
Prenons un exemple élémentaire de syllogisme:
- Codage linéaire : « Socrate est un homme, tous les homme sont mortels, donc Socrate est mortel. »
Il y a en fait au moins 6 façons différentes d’exprimer le même raisonnement :
La complexité de la compréhension de ce simple texte tient du fait que l’esprit doit découper les 3 concepts de base (« Socrate est un homme« , « tous les homme sont mortels« , « Socrate est mortel« ) en utilisant des séparateurs de concepts (la virgule, le point, etc.) et des marqueurs de raisonnement (« car », donc », « or »).
On aurait aussi bien pu exprimer seulement ‘Socrate est mortel car Socrate est un homme‘, car tout le monde sait que les hommes sont mortels, et il n’y a donc pas besoin de le rappeler au lecteur qui le sait déjà. Imaginons un instant que les concepts présentés dans un syllogisme A et B => C dépassent les quelques mots et constituent un paragraphe ou une page de texte : le lecteur est obligé malgré lui de parcourir l’ensemble du texte pour arriver à son point d’intérêt. Le découpage du texte pour identifier les parties A, B et C n’est pas forcément immédiat.
Critique de la notation linéaire de l’écriture
Les inconvénients de l’écriture linéaire sont donc :
- L’écriture est un concept sonore : beaucoup de gens subvocalisent le texte (lecture intérieure silencieuse au rythme de la parole). Le système de traitement du son mobilise environ 10% du cerveau.
- Les symboles codent relativement bien le discours sonore, mais il faut un réel effort intellectuel à plusieurs niveaux pour reconstituer le sens (mots -> concept -> raisonnement).
- Les premiers éléments accessibles sont les mots, et non pas le type de raisonnement suivi
- on voudrait aussi disposer d’un format de lecture qui aurait un peu de la forme suivante : {je vais présenter un syllogisme dont la conclusion est « Socrate est mortel », et les prémisses sont « Socrate est un homme » et « tout homme est mortel} .
- Le lecteur ne peut pas sauter facilement les éléments qu’il connait déjà ou qui ne l’intéressent pas :
- il est obligé de parcourir les paragraphes qui ne l’intéressent pas pour trouver les marqueurs de fin (mots, ponctuation, mise en page, etc).
- Le texte n’est pas manipulable par ordinateur au niveau du sens et des concepts.
- La linéarité temporelle du discours induit la linéarité de la pensée qui est limitative :
- la perception d’autres ordres et points de vue possibles n’est pas évidente.
- L’avantage et aussi le pire est qu’il entraîne le lecteur à élaborer une représentation interne linéaire conforme à la présentation exacte du raisonnement de l’écrivain, forçant ainsi à une forme de mimétisme intellectuel, utile pour la propagande mais pas pour la compréhension et l’originalité de pensée. Il est aussi très difficile de s’extraire de ce formatage de la pensée.
Il est temps aujourd’hui de réaliser que cette technologie est peu performante, mais que l’ordinateur n’a pas apporté grand chose au niveau conceptuel, se contentant pour l’essentiel de remplacer la gomme et le crayon, et d’accélérer le principe de gravure sur tablettes d’argile :
- L‘écriture linéaire avec ses 5000 ans d’âge, repose toujours sur la notion de substrat physique (la tablette d’argile, puis la page A4 ou celle d’un livre qui a été informatisée, mais dont on retrouve toutes les traces via les pdf et les imprimantes).
- Pire, les logiciels existants ne sont pas adaptés à la manipulation du discours :
- les traitements de texte sont de facto des traitements de séquences de symboles (on peut déplacer des blocs, souligner, etc).
- Pour le sens on voudrait cliquer sur un bouton pour passer d’une phrase à l’actif au passif directement , ou bien disposer des phrases alternatives à partir d’une seule phrase originale comme ci-dessus.
- La permutation de 2 phrases se heurte aux références arrière, voire nécessite des recombinaisons complexes (comparer : {Le chat a attrapé la souris. Il la mange} et {Il la mange. Le chat a attrapé la souris.} et {Le chat mange la souris qu’il a attrapée})
- Le texte est ainsi gravé dans l’ordinateur comme il est gravé dans la pierre ou imprimé sur le papier.
- Il y a d’autres limitations simples : le parallélisme ne s’inscrit pas dans le discours (comment traduire simplement que deux idées sont au même niveau, ou que deux actions se passent en même temps ?) , ni le déroulement du temps (coder une partition de musique sous forme de texte est une mission impossible !).
- Le système de traitement visuel mobilise environ 50% du cerveau.
Le codage linéaire ne permet facilement pas la pensée complexe. Cette technologie, qui a plus de 5000 ans d’âge a été à peine améliorée par l’ordinateur.
Concept de notation non linéaire : SGH
L’écriture non linéaire est basée sur des schémas. Le syllogisme précédent est ainsi représenté par :
Les notations SGH
La notation SGH (Scripto-Graphique à Hyperliens) est un principe d’écriture basé sur ces dessins mélangeant l’écriture traditionnelle, les graphiques et les graphes, ainsi que les hyperliens.
Un graphe de connaissance est composé d’atomes de représentation SGH, liés par des liens. Chaque atome est une combinaison de :
- Un texte court, en écriture traditionnelle.
- Un graphique ou une image
- Un (ou plusieurs) liens vers d’autres atomes de connaissance
- Un (ou plusieurs) hyperliens vers d’autres graphes de connaissance.
Les hyperliens font références à d’autres graphes, et plus généralement à tout type de document informatique accessible par l’ordinateur (fichiers, pages web, etc).
La difficulté est le passage à l’échelle : travailler avec ces graphes apporte-t-il des formes de productivité supérieure ?
Les notations SGH favorisent l’approche descendante (du raisonnement vers les détails) par rapport à l’approche ascendante (des détails vers la synthèse). Ceci donne une grande efficacité pour les schémas de pensée qui sont récupérables et instanciables avec d’autres éléments.
Avantages
La notation non linéaire présente plusieurs avantages :
- le découpage des concepts est clair et immédiat à percevoir
- l’articulation du raisonnement est visible d’emblée
- la lecture partielle est possible
- le nombre de symboles diminue, et la structure du raisonnement étant évidente, la compréhension est améliorée
- il y a de nombreux sens de lecture selon l’ordre dans lequel on lit le schéma.
- la notation secondaire fait partie intégrante du système de communication
- Le système visuel mobilise 50% du cerveau et présente un grand degré de parallélisme et de puissance pour le traitent de ce système de notations.
A la main, il suffit d’un papier et d’un crayon. Mais cette solution est peu pratique.
Démultiplier la puissance de l’écriture
Grâce à l’ordinateur, cette solution est la technologie du futur car elle utilise à plein les possibilités de l’informatique (3) :
- il y a la possibilité d’avoir des pages quasi-infinies
- les schémas graphique sont manipulables ‘facilement’ par ordinateur, pour des variantes , y compris en lecture :
- la lecture peut s’aider d’outils,
- il n’y a pas de structure figée car les écrans sont modifiables à l’infini,
- il existe de nombreux sens de lecture ou d’exposé à partir du même schéma.
Bien sûr il y a quelques inconvénients et difficultés avec ce système de notations mais qui ne lui sont pas intrinsèques:
- Il n’est pas généralisé, ni est enseigné à l’école :
- il faut un apprentissage de la lecture et de l’écriture spécifiques
- heureusement cet apprentissage n’est pas trop difficile
- la diffusion de documents non linéaires se heurte à l’omniprésence du linéaire.
- Il repose essentiellement sur les fonctionnalités de l’informatique : il vaut mieux avoir un grand écran.
- La production d’un document linéaire à partir de schémas SGH est facilitée par l’organisation, mais demande une interprétation spécifique (un parcours) du schéma.
- Le format conduit à la concision, ce qui n’est pas toujours facile…
La vraie révolution de l’ordinateur est que les notations non linéaires deviennent un outil effectivement utilisable pour de nombreux usages : création et transmission de connaissances, définition et gestion de projets, brainstorming, gestion d’informations non structurées, etc. à la fois manuelle et automatisable.
Les notations SGH sont en effet simples et pratiques à manipuler :
- Au raisonnement qui consiste à assembler des idées doit correspondre un assemblage graphique de plusieurs schémas. Un assemblage de schémas est aussi un schéma :
Cet assemblage est beaucoup plus simple que pour le texte pur, dont le contenu de chaque phrase dépend des phrases précédentes. - Le raisonnement fait appel à des connaissances ou à des raisonnements qui sont établis ‘ailleurs’, et dont l’inclusion intégrale compliquerait excessivement un schéma. Il faut donc un système de références dans les schémas comme dans les textes. L’informatique a proposé une solution élégante avec les hyperliens qu’il suffit de cliquer pour accéder à leur contenu.
Le passage à l’échelle : la méthode et le logiciel KM2
Manipuler des dessins est une tâche inhabituelle. Mais s’y retrouver dans des milliers de schémas représentant des connaissances, des informations, des analyses et des projets est une tâche impossible. Or il est indispensable que la manipulation de SGH soit au moins aussi facile que celle de textes classiques.
C’est pourquoi une réflexion complémentaire a été faite pour développer des méthodes d’usage de ces graphes. Ceci a conduit au développement d’une méthode et du développement du logiciel KM2.
Le logiciel KM2 fournit les éléments indispensables à l’utilisation efficace des graphes et des notations SGH :
- un moteur de recherche dans ces graphes, qui permet de localiser instantanément les éléments recherchés.
- un moteur d’assemblage de graphes, qui permet de sélectionner des sous-arbres dans plusieurs graphes et les assembler automatiquement en un seul élément.
- des moteurs de génération de graphes, comme par exemple pour les notes des groupes de travail, qui sont constituées de plusieurs réunion, chacun donnant lieu à un graphe spécifique. Sous certaines conditions d’autorisations du logiciel de courrier, l’envoi aux participants est automatique.
NOTES ET REFERENCES
1 – source : wikipedia/ecriture. On pourrait aussi discuter de la date et du lieu de l’invention de l’écriture …
2 – L’usage de pictogrammes (hiéroglyphes, sinogrammes, etc.) ne change rien à ce principe de linéarité, mais s’abstrait du codage sonore en représentant directement des symboles de concepts, indépendants de la langue parlée du locuteur.
3 – Les logiciels de MindMapping sont assez bien adaptés à ce système de notations. Dont certains gratuits (par exemple Xmind, Freemind, …) ou payants ( MindMeister, iMindMap, etc).
4 – des exemples simples de schémas : ici (Freemind) ou ici (biggerplate) ou ici (Xmind).